La santé mentale est un pilier fondamental du bien-être individuel et collectif, pourtant elle demeure encore largement reléguée au second plan dans de nombreux territoires. En France comme ailleurs, les disparités territoriales en matière de prise en charge de la santé mentale posent un véritable défi de santé publique. Ces inégalités, souvent invisibles, ont des conséquences profondes sur la qualité de vie des personnes concernées, accentuant la détresse psychologique de celles et ceux qui vivent dans des zones moins bien desservies.
Dans les zones urbaines denses, les services de santé mentale sont généralement plus accessibles : hôpitaux, centres médico-psychologiques (CMP), psychiatres libéraux, psychologues, dispositifs d’urgence sont souvent concentrés dans ces territoires. Cela ne signifie pas que l’offre y est suffisante, car la demande y est également très forte. Cependant, les habitants des grandes villes disposent, en théorie, de plus de possibilités pour consulter rapidement un professionnel. À l’inverse, les zones rurales et certains territoires périurbains souffrent d’un manque criant de moyens humains et matériels. Il n’est pas rare qu’un seul psychiatre couvre un bassin de population très étendu, avec des délais d’attente pouvant aller jusqu’à plusieurs mois pour un premier rendez-vous.
Ces inégalités géographiques exacerbent des fractures sociales déjà existantes. Les personnes vivant dans des zones sous-dotées sont souvent confrontées à des obstacles supplémentaires : éloignement des structures, absence de transport en commun, manque d’information, et parfois aussi stigmatisation locale autour des troubles psychiques. Cela peut conduire à un renoncement aux soins, voire à une aggravation des symptômes, augmentant les risques d’isolement, de désinsertion sociale ou de passage à l’acte. Les jeunes, les personnes âgées, les publics précaires ou les personnes en situation de handicap sont particulièrement vulnérables face à cette défaillance du maillage territorial.
La situation est d’autant plus préoccupante que les troubles psychiques, loin d’être marginaux, touchent une part significative de la population. Dépression, troubles anxieux, addictions, troubles bipolaires, schizophrénie : la diversité des pathologies psychiatriques exige une réponse coordonnée, multidisciplinaire et adaptée à chaque territoire. Or, l’hétérogénéité des réponses institutionnelles aggrave le sentiment d’abandon ressenti par certains usagers.
L’évolution de la politique de santé mentale en France a pourtant reconnu la nécessité d’un maillage territorial fort, notamment avec les Projets Territoriaux de Santé Mentale (PTSM), censés permettre une coordination des acteurs de terrain en fonction des besoins spécifiques de chaque territoire. Mais sur le terrain, la mise en œuvre reste inégale, entravée par des moyens limités, des cloisonnements institutionnels persistants et des tensions sur les ressources humaines. Le manque d’attractivité de certaines régions pour les professionnels de santé mentale contribue également à pérenniser ces déséquilibres.
Face à cette réalité, des initiatives locales tentent de pallier les lacunes du système classique : permanences psychologiques en maison de santé, dispositifs mobiles, téléconsultations, groupes de parole animés par des associations, médiateurs en santé mentale issus des pairs aidants… Ces expérimentations, souvent portées par des collectivités locales, des associations ou des professionnels engagés, montrent qu’il est possible d’innover pour rapprocher les soins des usagers. Mais ces dispositifs restent trop souvent dépendants de financements précaires et de dynamiques individuelles.
Pour réduire durablement les inégalités territoriales en santé mentale, une volonté politique forte est indispensable. Cela passe par un investissement massif dans les ressources humaines et dans l’aménagement de l’offre de soins, mais aussi par une reconnaissance de la santé mentale comme une priorité transversale des politiques publiques. Les inégalités territoriales ne se résument pas à un problème de distance ou de géographie : elles sont le reflet d’un déséquilibre structurel entre besoins et ressources, d’une invisibilisation des souffrances psychiques dans certains espaces, et d’un manque de cohérence globale dans les réponses proposées.
La santé mentale ne peut plus être considérée comme une variable d’ajustement. Elle doit être pensée comme un droit fondamental, garanti à chaque citoyen, quel que soit son lieu de résidence. Garantir une prise en charge équitable, accessible et de qualité partout sur le territoire est une condition nécessaire pour construire une société plus juste, plus solidaire et plus résiliente face aux crises.